I - Le Languedoc avant la croisade 

Au XIIme siècle, dans ce vaste Languedoc qui s'étend - de la Provence à l'Agenais et au Quercy, des Pyrénées au Massif Central prédominait la famille des Comte, de Toulouse, établie au temps de Charlemagne.

Pratiquement indépendante du roi de France et plus riche que lui, elle exerçait sa suzeraineté sur un territoire presque aussi vaste que celui de la couronne.

Le domaine de Raymond VI

A la fin du XIlme siècle, en 1194, le comte de Toulouse Raymond meurt et son fils Raymond VI le remplace.

Le fief des comtes de Toulouse comprend alors, en plus du comté de Toulouse proprement dit, les comtes de Foix et d'Armagnac, le duché de Narbonne, le marquisat de Provence, les quatre vicomtes d'Albi, de Carcassonne, de Béziers et de Razès soit à peu près l'équivalent de dix-sept de nos départements actuels.

A cela il faut ajouter l'Agenais et le Quercy acquis par Raymond VI grâce il son mariage avec Jeanne de Plantagenêt, fille de Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre.

Il ne faut pas oublier que nous sommes dans le monde féodal où les guerres «privées» entre Seigneurs sont fréquente!.

C'est pourquoi les comtes de Toulouse ont eu bien souvent les difficultés avec leurs vassaux, c'est pourquoi aussi la féodalité du Languedoc n'a jamais été réellement unie quand sont venus les jours tragiques de la croisade. Les seigneurs représentent la force militaire; ils sont riches et puissants, quand les terres qu'Ils possèdent sont elles mêmes riches et prospères, mais ce n'est pas chez eux que l'on peut trouver ce qui donne à la région du Languedoc, à cette époque un éclat exceptionnel.

La civilisation occitane

Ce qui frappe d'abord dans la civilisation occitane de ce temps c'est le remarquable développement des villes.

Toulouse est plus grande et plus belle que Paris, Avignon de même est plus importante que Rouen qui est cependant une des plus grandes villes du Nord.

Grâce au commerce avec la Méditerranée la bourgeoisie urbaine s'est grandement enrichie et les communes du Languedoc, au cours du XIIme siècle sont devenues de véritables république autonomes. Dans l'espace d'une vingtaine d'années, de 1131 è 1152, Béziers, Montpellier, Narbonne, Toulouse ont organisé elles mêmes des municipalités dirigées par des consuls ou des capitouls élus parmi les bourgeois et les nobles..

Les artisans, très nombreux, se distinguaient par leurs talents.

Il n'est pas jusqu'aux paysans qui ne soient bien plus heureux que dans le Nord.

Au cours du XIIme siècle ils ont racheté leur liberté ce qui a entraîné un grand essor de l'agriculture.

Un autre aspect remarquable des villes du Languedoc c'est l'activité intellectuelle et l'ouverture d'esprit qui s'y manifeste.

Toulouse, Narbonne, Avignon, Montpellier, Béziers sont des villes universitaires où l'on enseigne la médecine, la philosophie, les mathématiques.

Autre trait à souligner: les Juifs, qui sont nombreux ne sont pas persécutés; ils peuvent accéder aux fonctions les plus hautes de magistrats et de consuls, ils fournissent des professeurs et des médecins estimés. On trouve même des maîtres arabes qui enseignent les mathématiques et l'astronomie.

En somme dans ces villes heureuses et prospères, commence à se développer un esprit exceptionnel de liberté et de tolérance.

Le couronnement de cette activité intellectuelle c'est la qualité de la littérature poêtique qui a fait la gloire des troubadours.

A cette époque la langue d'oc est la langue littéraire par excellence et la poésie méridionale est la première de toute l'Europe

On a dénombré près de 500 troubadours dont les plus célèbres, tel Bernard de Ventadour, fils d'un domestique, sont honorés par les plus grands personnages.

Pour résumer nous pouvons dire qu'au XlIme siècle se développait dans le Midi une civilisation originale qui aurait pu donner des fruits aussi éclatants que ceux fournis, plus tard, par les grandes villes italiennes de la Renaissance.

C'est pourquoi l'anéantissement de cette culture représente un crime que les responsables ne pourront jamais effacer.

Simone Weill, cet esprit pénétrant, a écrit avec raison:

« Une civilisation méditerranéenne a surgi, qui, peut être, aurait avec le temps constitué un second miracle, qui peut être, aurait atteint un degré de liberté spirituelle aussi élevé que la Grèce Antique, si on ne l'avait pas tuée ».

Et après avoir montré la multiplicité des influence qui sont rencontrées dans ce pays privilégié, elle conclut: «Quel fruits une civilisation si riche d'éléments divers a-t-elle portés, aurait-elle portés?

Nous l'ignorons, on a coupé l'arbre ».

Le catharisme

Un des aspects originaux de cette civilisation occitane au XIIme siècle c'est le succès remporté par la religion cathare. dite aussi albigeoise en, raison de son influence dans la région d'Albi.

Le catharisme est une branche du christianisme. Il s'est formé dans les Balkans et a rayonné ensuite dans une partie de l'Europe.

Il n'est pas nécessaire de parler longuement des croyances de l'Eglise cathare; elle ne sont ni plus ni moins absurdes que celles des autres Eglises. Il importe seulement de souligner que les prêtres cathares apportaient à leurs fidèles ce qu'il y avait de plus noble et de plus désintéressé dans la doctrine du Christ et les enseignements de l'Evangile.

On a pu dire avec raison que le catharisme avait «la saveur et la vigueur du christianisme primitif». Les prêtres appelés «parfaits» ou Purs, ont renoncé à toutes les satisfactions terrestres après avoir reçu l'imposition des mains ou «Consolamentum» qui est le sacrement unique.

Le catharisme est une religion sans église et sans terre.

Les parfaits vont par deux, de village en village, prêchant sur les places, soignant les malades, aidant les travailleurs, vivant de la charité publique. On les appelle les «bons hommes», ce qui signifie les hommes bons, et ils sont respectés commes tels.

Ils ont d'excellentes écoles où bourgeois et nobles envoient volontiers leurs enfants. Les simples croyants ont très peu d'obligations il leur est seulement recommandé de s'engager dans les chemins de la «perfection».

Ils peuvent, quand ils le désirent, le plus souvent avant de mourir, recevoir le consolamentum par simple imposition des mains de la part d'un parfait.

Les hommes aussi bien que les femmes sont alors delivrés de toutes leurs inperfections, ils doivent renoncer aux jouissances terrestres, deviennent des parfaits ou de parfaites et les voies du bonheur éternel leurs sont ouvertes.

Les parfaits sont les adversaires de toute violence. Pour eux le meurtre, même d'un animal est un crime. Ils ne recherchent pas le martyr mais font preuve devant la mort d'un courage inébranlable.

Situation de l'eglise catholique

Quel que soit, le jugement que l'on porte sur les croyances, des cathares il n'est pas douteux, que l'Eglise, cathare était, du point de vue moral, infiniment supérieure à l'Eglise catholique qui offrait à cette époque, un spectacle peu édifiant.

D'ailleurs c'est sans aucun doute, la décadence de l'Eglise catholique, la seule officiellement admise, qui explique en grande partie le succès de la prédication cathare. Le défaut principal de l'Eglise catholique, surtout chez ses dirigeants, papes, évêques abbés, est d'être assoiffée de richesses et de pouvoir.

Comme l'écrit Georges Bordonove, parlant spécialement de l'Eglise languedocienne: « Elle dort sur ses richesses. Elle ne produit ni saints, ni penseurs, ni mouvements d'aucune sorte susceptibles de retenir les foules.... Les dignitaires mènent une existence scandaleuse; ils s'adonnent la chasse, s'entourent de courtisanes, vendent les indulgences et les bénéfices, se dispensent de visiter leurs diocèses ».

Les évêques sont en même temps des seigneurs féodaux avec toutes les oppressions et les brutalités que cela comporte; ils portent tes armes, ils ont leur police leurs prisons; ils ont des terres et des paysans qui travaillent pour eux.

L'avidité des hommes d'Eglise ne pouvait être satisfaite que si le peuple était subjugué par la terreur spirituelle qui mettait sans cesse devant ses yeux les menaces de l'enfer.

Mais il fallait aussi que les seigneurs mettent leur force militaire, le bras séculier, au service de l'Eglise quand celle-ci se trouvait menacée dans ses intérêts. Il s'était établi ainsi très naturellement une division du travail entre l'Eglise catholique et la féodalité: l'Eglise représentant l'oppression spirituelle au service des puissants et ceux ci payant en retour par les privilèges matériels accordés aux membres du clergé.

Madame Zoé Oldenbourg historienne avertie de la croisade des albigeois résume ainsi la situation: « A la veille des événements qui ont amené sur le Languedoc la catastrophe qui allait lui coûter son indépendance, l'Eglise ne représentait ni la justice, ni l'ordre, ni la paix, ni la charité, ni Dieu; elle représentait la papauté.

La situation véritablement tragique où elle se trouvait placée allait l'amener à la plus effrayante confusion des valeurs et lui faire subordonner toute idée de morale à la défense de ses intérêts temporels ».

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