etour de Raymond VI
Au moment ou mourait Innocent Ill, Raymond y raccompagné de son fils débarquait à Marseille, bien décidé à profiter de la haine que les envahisseurs avaient accumulée dans son malheureux pays pour tenter de reconquérir son domaine.
Dans la vallée du Rhône, qui avait été épargnée par les violences des croisés, il fut accueilli avec l'enthousiasme, par Avignon en particulier. Et bientôt l'annonce de son retour provoqua des très larges mouvements de révoltes.
Châtiment de Toulouse
Simon de Montfort vint assiéger Beaucaire qui résista courageusement pendant trois mois. Il se replia ensuite sur Toulouse et comme il craignait que la ville ne se révoltât il entreprit une grande opération de terreur. Il comrnença par brûler trois quartiers de la ville, mais ces violences déterminèrent un soulèvement général avec barricades et combats de rue.
Les chevaliers du Nord qui soutenaient Simon de Montfort durent de réfugier dans la cathédrale et ce dernier s'enferma dans le solide château Narbonnais.
Le peuple de Toulouse était victorieux mais isolé, il n'avait plus les fortifications de la ville pour se défendre contre une attaque probable des forces dont Simon disposait encore dans le comté.
C'est ici que se place une manœuvre infâme de l'évêque Foulques: il se présenta en médiateur, garantit aux Toulousains que leurs biens et leurs personnes seraient respectés s'il renonçaient à la lutte.
En même temps il conseillait à Simon de Montfort de se montrer impitoyable. La manœuvre réussit. El quand les bourgeois eurent déposé leurs armes Simon ordonna la destruction systématique de la partie la plus riche de la ville:
« Alors, vous auriez vu abattre maisons et tours, murs, salles et créneaux! On démolit les demeures et les ouvroirs, Ies galeries, les chambres ornées de peintures, les portails, les voûtes, les hauts piliers. De toutes parts sont si grands la rumeur, la poussière, le fracas, la fatigue, l'agitalicn, que tout est confondu et qu'il semble que cc soit un tremblement de terre, un roulement de tonnerre ou de tambours».
(Chanson de la Croisade).
Cependant Simon de Montfort devait poursuivre la lutte contre des adversaires toujours renaissants. C'est ainsi qu'il attaqua le comté de Foix et enleva le château de Montgaillard au début de 1217.
Raymond VI rentre à Toulouse
Quand à Raymond VI qui avait levé une armée d'Aragonais, il marcha sur Toulouse où il entra le 13 septembre 1217.
Il fut accueilli avec joie par une population épuisée et meurtrie.
La ville n'avait plus de murailles mais on se mit aussitôt à construire des fossés, des barricades, des fortifications légères en vue d'une attaque inévitable.
Quand Simon de Montfort, accouru au plus vite, tenta de reprendre la ville son assaut fut repoussé durement. Cet échec entraînant de nouvelles révoltes sa situation aurait pu tourner au désastre sans l'intervention vigoureuse du nouveau pape Honorius III, qui fit les plus grands efforts pour envoyer à son secours de nouvelles troupes de croisés.
Mort de Simon de Montfort
Grâce à ces renforts Simon put poursuivre tout l'hiver 1217-1218 le siège de Toulouse. Ce long siège de plus de huit mois fut marqué par de cruels combats. Enfin en Juin 1218, Simon de Montfort fut frappé à mort d'une grosse pierre lancée par une machine servie, dit-on, par des femmes toulousaines.
«Les Jeux, la cervelle, les dents, la front, la machine lui volèrent en éclats».
La mort de Simon de Montfort était un grand événement qui pouvait laisser espérer un retournement de la situation. En effet bien que le légat du pape ait aussitôt reconnu le fils de Simon, Amaury de Montfort comme héritier de tous les biens et titres de son père, il dut lever le siège de Toulouse et se replier sur Carcassonne.
Tout semblait devoir être recommencé. Mais ni la papauté, ni le roi de France n'entendaient renoncer à une entreprise qui les intéressait à des titres divers.
Deuxième intervention du roi de France
Philippe August envoya son fils Louis avec une puissante armée qui ne comprenait pas moins de 20 évêques et qui vint se joindre aux forces d'Amaury.
La campagne fut marquée d'abord par l'atroce destruction de Marmande qui est la répétition de la boucherie de Béziers: « on court vers la ville avec des armes tranchantes, et alors commencent Ie massacre et l'effroyable boucherie. Les barons, les dames, les petits enfants, les hommes, les femmes, dépouillés et nus, sont passés au fil de l'épée.
Les chairs, le sang, les cervelles, les troncs, les membres, les corps ouverts et pourfendus, les foies, les cœurs, mis en morceaux, brisés, gisent par les places comme s'il en pleuvait. Du sang répandu, la terre, le sol, la rive sont rougis. Il ne reste homme ni femme jeune ou vieux: aucune créature n'échappe à moins de s'être cachée.
La ville est détruite, le feu l'embrase ». (Chanson de la Croisade). 5.000 personnes furent ainsi massacrées de sang froid, ce qui donne une idée de la bonté du futur Louis VIII surnommé le Pieux.
Après cet exploit, Louis marche sur Toulouse qui, entre-temps, avait renforcé ses défenses et dont les forces étaient commandées maintenant par le fils de Raymond VI.
Le prince Louis ne put pas s'emparer de la ville et dut lever le siège.
De plus ayant terminé ses 40 jours de croisade il prit le chemin du retour, laissant Amaury se débrouiller par ses propres moyens.
Defaite de Montfort
Les affaires tournaient mal pour celui-ci. Les garnisons qu'il avait placées dans les villes étaient rnassacrées, Ie jeune Raymond de Toulouse reprenait peu à peu toutes ses terres.
Finalement Amaury de Montfort ne conserva plus que Carcassonne et Narbonne. Quand le vieux comte Raymond VI mourut, en 1222, il pouvait espérer, lui aussi, que la victoire de son fils était assuré.
Deux ans plus tard Amaury dut abandonner Carcassonne et renoncer à la lutte.
La situation féodale qui existait avant la croisade paraissait restaurée.
Mais si « l'ordre » féodal était rétabli, à la satisfaction des comtes de Toulouse, cela n'enlevait rien aux épreuves terribles que le pays avait subies, aux ravages moraux et matériels accumulés pendant 15 ans.
Et cependant les malheurs étaient loin d'être terminés.
Le pire n'était pas encore advenu.
Troisième intervention de Louis VIII
Le Languedoc connut trois ans de répit, mais le pape Honorius III n'avait pas désarmé. L' «hérésie» cathare n'était pas vaincue, l'Eglise catholique était plus que jamais méprisée ou haïe pour le rôle qu'elle avait joué dans cette affaire.
Le pape, impitoyable, poussait Louis VIII à reprendre la croisade.
Celui-ci accepta, mais posa des conditions impératives: les principales étaient que l'Eglise devait pendant 10 ans lui verser de gros subsides pour payer les frais de l'entreprise et surtout le pape devait lui confirmer solennellement l'entière propriété du comté de Toulouse et du vicomté de Carcassonne.
Le pape hésitait ne voulant pas faire le jeu du roi de France dont la puissance pouvait un jour devenir dangereuse pour lui, ce qui d'ailleurs ce produira plus tard. Des négociations sordides s'engageront avec Raymond VII qui, pour conserver ses domaines, promettait de pourchasser les cathares.
En fait, il n'en avait pas les moyens, car «l'hérésie» était de plus en plus populaire dans ses domaines.
Finalement au concile de Bourges, en 1225, Raymond VII fut une fois de plus excommunié et la nouvelle croisade de Louis VIII, décidée.
Le drame recommença. Cette fois c'était pour Louis VIII moins une croisade, qu'une guerre pour la conquête définitive d'une riche et vaste province, suffisamment éprouver pour être incapable, croyait-il, d'opposer une résistance efficace, L'armée des croisés se mit en marche en 1226, par la vallée du Rhône. La plupart des villes se soumirent sauf Avignon qui résista trois mois et fut finalement enlevée. Mais l'armée de Louis VIII, affaiblir par la maladie et par des guérillas menées par ceux qui étaient restés fidèles à Raymond VII ne parvint pas à enlever Toulouse.
Le roi, malade, abandonna la lutte et mourut d'une crise de dysenterie pendant son voyage de retour.
Blanche de Castille
Il laissait la couronne à un enfant de onze ans, Louis IX, plus connu sous le nom de Saint Louis. En réalité le pouvoir appartenait à la reine mère Blanche de Castille, femme redoutable, catholique fanatique qui va être pour le malheureux Languedoc un adversaire sans pitié.
Elle ne cessa d'envoyer des renforts dans le Midi pour continuer la lutte, Encouragées et dirigées par le sinistre Foulques, évêque de Toulouse - que Raymond VII n'avait pas autorisé à rentrer dans la ville - les troupes royales eurent recours à une nouvelle méthode de guerre: la destruction systématique de toutes les richesses de la terre. Installés à l'Est de Toulouse les croisés entreprirent la dévastation méthodique de la campagne environnant Toulouse.
Guillaume de Puylaurens, partisan des croisés et historien de la guerre contre les cathares, donne cette description: « Dès l'aurore les croisés entendaient la messe, déjeûnaient sobrement et se mettaient en marche, précédés d'une avant garde d'archers...
Ils commençaient le dégât par les vignes les plus rapprochées de la ville, à l'heure où les habitants étaient à peine éveillés; ils se retiraient ensuite dans la direction du camp, suivis pas à pas par les troupes de bataille, tout en continuant leur œuvre de destruction.
Ils agirent de même chaque jour, pendant trois mois environ, jusqu'à ce que la dévastation fut à peu près complète ».
Raymond VII demande la paix
Raymond VIT trop faible pour attaquer l'armée des croisés demanda la paix. Les conditions qui lui furent imposées équivalent il une capitulation sans condition.
Il faut ajouter qu'entre temps le pape Honorius IIl était mort (1227) et avait été remplacé par Grégoire lX, encore plus impitoyable, si cela est possible, que ses prédécesseurs. Après de longs préambules le traité de paix fut donc signé à Meaux, le jeudi saint 12 avril 1229.
Du point de vue politique la clause principale était le mariage d'un frère de Saint Louis. Alphonse de Poitiers, avec la fille de Raymond Vll qui devenait seule héritière légitime du comte de Toulouse.
A cette époque les deux futurs conjoints avaient chacun neuf ans.
Par ce mariage la maison capétienne s'assurait définitivement la possession de ce fameux comté arrosé de tant de sang.
En attendant Raymond VII n'était comte de Toulouse mais s'engageait à démanteler les fortifications qui existaient encore dans la ville; il devait de plus payer de très Iourdes indemnités aux églises et abbayes; créer à Toulouse une école de théologie dont les directeurs seraient désignés par le roi et l'Eglise; s'engager à combattre les «hérétiques» et à payer une prime de dénonciation à tous ceux qui en feraient arrêter; s'engager à interdire aux Juifs les charges publiques; enfin combattre tous ceux qui s'opposeraient au traité, en particulier le comte de Foix.
Raymond de St. Ange
L'affaire avait été menée par le légat du pape Raymond de St-Ange, homme de confiance de Blanche de Castille et peut-être son amant. Les conditions du traité acceptées, Raymond VII pour se réconcilier avec l'Eglise et faire Iever la sentence d'excommunication dont il était frappé, fut conduit à la cathédrale, en chemise et la corde au cou, et frappé de verges par Raymond de St-Ange.
II fut gardé encore six mois prisonnier à Paris, pendant que les représentants du roi veillaient sur place à l'application du traité.
Raymond de Saint Ange vint à Toulouse, réunit un concile et organisa dans tous ses détails la lutte contre «l'hérésie», qui allait devenir la lutte moralement la plus terrible que le Languedoc ait encore subie.
Le règlement en 45 articles adopté par le concile de Toulouse est un monument sans précédent de persécution policière.
Notons quelques articles:
Dans chaque paroisse un prêtre et deux ou trois laïques, catholiques sûrs, devaient être désignés pour visiter chaque maison, les souterrains, les greniers, et en général tous les lieux suspects où pouvaient se cacher des «hérétiques».
Quant on en découvrait ils devaient être immédiatement déférés aux autorités et passer en jugement.
Tous ceux qui auraient caché un «hérétique» verraient leurs biens confisqués, leur maison rasée et seraient à leur tour traduits en justice. Les autorités ecclésiastiques étaient seules responsables des jugements concernant les «hérétiques».
Les «hérétiques» qui auraient abjuré spontanément devraient changer de résidence et porter sur leurs vêtements deux croix de couleur (c'est déjà l'étoile jaune imposée aux juifs par Hitler).
Ils ne pourraient exercer aucune charge publique.
Ceux qui auraient abjuré par crainte de la mort seraient mis en prison.
Tout homme de plus de 14 ans et toute femme de plus de 12 ans devaient jurer fidélité à la religion catholique et s'engager à poursuivre les «hérétiques»; faute de quoi ils seraient eux-mêmes suspects d'hérésie. Ce serment devait être renouvelé tous les deux ans. Toute personne devra se confesser et communier au moins trois fois par an, faute de quoi elle sera suspecte d'hérésie.
Aucun laïc ne pourra posséder un Ancien ou un Nouveau Testament. (Cette clause est admirable car elle montre bien que l'Eglise redoute par dessus tout que les fidèles remontent aux sources du christianisme et n'établissent des comparaisons avec les pratiques de l'Eglise qu'ils ont sous les yeux).
Tout testament, sous peine de nullité, devra être établi en présence du curé.
Ceux qui 'seront simplement soupçonnés d'hérésie, n'auront pas le droit d'exercer des fonction de médecin.
Etc. etc...