II - La première phase de la guerre 1208 - 1211

Il nous faut présenter maintenant les aspects principaux de ce drame.

Les origines de la guerre

Comme nous l'avons dit Raymond VI succède à son père comme comte de Toulouse en 1194. Quatre ans plus tard, en 1198, Innocent III devient pape.

Déjà Saint Bernard avait essayé en vain de rétablir l'autorité de l'Eglise catholique dans le Languedoc.

Innocent III; décidé à détruire « l'hérésie » cathare, envoya dans le comté de Toulouse des légats pris parmi les cisterciens qui était l'ordre religieux de St-Bernard. Deux furent particulièrement importants: le frère Pierre d Castelnau et Arnaud Amaury, abbé de Citeaux et « général » de l'ordre.

Leur prédication, leurs débats (colloques) avec les représentants qualifiés de l'Eglise cathare n'eurent pratiquement aucun succès en dépi de l'appui fourni par un moine espagnol fanatique Dominique de Guzman, le futur Saint Dominique, qui fondera plus tard l'ordre des Frères Prêcheurs, ou Dominicains dont nous verrons le rôle essentiel.

Bien que Raymond VI fut catholique comme la plupart des seigneurs, il n'avait pas le goût d'entrer en guerre contre les cathares qui non seulement ne lui causaient aucun souci personnel mais encore contribuait largement à la santé morale du comté de Toulouse.

Pierre de Castelnau et Arnaud Amaury s'employèrent alors à soulever les vassaux de Raymond VI contre leur suzerain. Finalement Pierre de Castelnau frappa Raymond VI d'excommunication et déclara: « qui vous dépossédera fera bien et qui vous frappera de mort sera béni ».

Peu après à Saint-Gilles, sur le Rhône, berceau de la famille des comtes de Toulouse, Pierre de Castelnau fut assassiné, le 14 janvier 1208, par un officier de Raymond VI.

Ce meurtre allait servir de prétexte à Innocent III pour lancer la croisade contre le Languedoc. Prétexte, en effet, puisque avant même la mort de Pierre de Castelnau, le pape avait envoyé une lettre au roi de France, Philippe Auguste, lui enjoignant « de chasser le comte de Toulouse de la terre qu'il occupe et de l'enlever aux sectaires pour la donner à de bons catholiques qui puissent, sous son heureuse domination, servir fidèlement le Seigneur ».

Philippe Auguste avait trop de souci à cette époque, en raison de la lutte qu'il menait contre Angleterre, pour s'engager dans cette aventure.

Organisation de la croisade

L'appel à la croisade lancé par Innocent III fut entendu par de nombreux seigneurs du Nord et du Centre de la France.

Il s'agissait pour eux d'abord d'une entreprise de pillage qui pouvait être très fructueuse, et en même temps d'obtenir automatiquement une indulgence pleinière qui les lavait de tous Ieurs péchés.

Les croisés s'engageaient pour une campagne effective de 40 jours ce qui était beaucoup moins dangereux et aléatoire qu'une expédition en Terre Sainte.

L'année des croisés se rassemble à Lyon en 1209; elle devait comprendre environ 20.000 hommes ce qui est beaucoup pour l'époque. A côté des chevaliers et de leurs gens d'armes, elle était formée d'auxiliaires professionnels, arbalêtriers, archers, sapeurs et mineurs pour l'attaque des places fortes et enfin de ces terribles bandes de routiers, gens sans aveu recrutés comme mercenaires.

Il faut ajouter que Raymond VI qui avait fait sa soumission au pape et s'était humilié devant son légat en juin 1209, pour tenter d'éviter la dévastation de ses domaines, avait lui même pris la croix et se trouvait donc dans les rangs des croisés.

C'est un exemple caractéristiques de ce double jeu et de ces revirements dont les seigneurs féodaux sont coutumiers quand leurs intérêts matériels sont en jeux.

Une autre armée, moins importante, commandée par l'archevêque de Bordeaux et divers évêques régionaux attaqua par le Quercy.

Elle ne put que que s'emparer de Cassineuil où plusieurs «hérétiques» furent pris et brûlés.

L'armée principale descendit la vallée du Rhône, s'arrêta à Montpellier, ville catholique et décida de s'attaquer à Béziers.

Les légats du pape avaient en effet désigné comme premier adversaire à abattre le vicomte de Béziers et de Carcassonne, Raymond-Roger Trancavel.

La prise de Béziers

Le 21 juillet 1209 l'année des croisés arriva devant Béziers.

A la suite d'une manœuvre malheureuse des assiégés, qui auraient pu soutenir un long siège, le lendemain 22 juillet les routiers pénètrent inopinément dans la ville, suivis par les chevaliers et en quelques heures la population entière de cette belle ville prospère fui exterminée.

On a dit que le légat du pape Arnaud Amaury aurait déclaré à ceux qui lui demandaient qui devait être mis à mort: « Tuez les tous. Dieu reconnaîtra les siens »

Si la phrase n'a pas été prononcée il est en tout cas certains que le légat du pape n'a éprouvé ni remords ni pitié, car il écrit aussitôt au pape pour lui annoncer l'heureuse prise de Béziers et précise avec satisfaction que « sans égard pour le sexe et pour l'âge presque 20.000 de ces gens furent passés au fil de l'épée ».

La ville prise et la population exterminée, routiers et chevaliers se battirent pour s'emparer du riche butin. Tout cela se termina

par des incendies qui détruisirent la ville et ses biens.

Cette effroyable boucherie contient plusieurs enseignements.

Elle témoigne d'abord de la sauvagerie des seigneurs féodaux : le massacre des gens du commun leur paraît un chose toute naturelle, aussi anodine qu'une opération de chasse. Les seuls être humains qui ont à leurs yeux, quelques droits ce sont les nobles, civils ou religieux, parce qu'ils représentent l'armature d'un système dont ils font eux-mêmes partie et qui doit être soumis à certaines règles.

Quant aux légats du pape et aux autres représentants de l'Eglise catholique non seulement ils manifestent la même indifférence pour la vie humaine, mais la cause religieuse qu'ils sont censés défendre les met à l'abri de tous scrupules.

Elle justifie le déchaînement des pires instincts de violence et de cruauté qui peuvent sommeiller dans le cœur des hommes.

Le massacre de Béziers fut suivi de la soumission de nombreux châteaux, puis du siège de Carcassonne.

Vaincue par la soif la ville dut capituler.

Raymond-Roger Trancavel qui la défendait obtint que la population soit évacuée ce qui fut sans doute accordé pour éviter la destruction des richesses considérables contenues dans la ville qui formèrent le butin des croisés.

Lui-même fut fait prisonnier et confié à l'Eglise.

II mourra le 10 novembre 1209, sans doute assassiné.

Simon de Montfort

Raymond-Roger Trancavel ayant été dépossédé de ses terres une commission composée d'évêques et de chevaliers désigna un croisé Simon de Montfort, seigneur I'importance moyenne, vassal du roi de France mais également comte de Leicester en Angleterre, pour lui succéder. C'était un homme d'une cinquantaine d'années qui fut choisi sans doute parce qu'il n'était pas un seigneur trop puissant mais aussi parce qu'il était un guerrier redoutable capable de poursuivre sans défaillance la tâche que l'Eglise s'était fixée.

A ce moment, les 40 jours d'engagement étant écoulés, la croisade se disloqua, les seigneurs rentrèrent chez eux avec un bon butin.

Simon de Montfort ne conservait auprès de lui que quelque chevaliers. II put cependant poursuivre la guerre grâce aux renforts que le pape ne cessa de lui envoyer.

Ce soldat du Christ était une brute impitoyable qui chercha à s'imposer par la terreur. On peut citer comme exemple ce qu'il fit en 1210 dans la petite villa de Bram dans l'Aude.

La garnison, un peu plus d'une centaine d'hommes, ayant résisté pendant trois jours. Simon de Montfort fit crever les yeux, couper le nez et la lèvre supérieure de tous ses hommes.

Un seul conserva un œil et fut contraint de conduire ses misérables compagnons jusqu'à un château voisin pour montrer ce qui attendait ceux qui oseraient résister. Bien entendu les représentants du pape n'adressèrent pas le moindre blâme à Simon de Montfort pour un pareil acte de cruauté. Il était, et restera jusqu'à sa mort, le fils dévoué de l'Eglise, chargé de toutes les vertus.

Un autre épisode épouvantable de cette période se déroula à Minerve capitale du Minervois. La vallée ayant été prise.

140 « hérétiques » au moins furent brûlés ensemble dans un immense bûcher (1). Dans cette horrible affaire il parait certain que les plus acharnée à supplicier les « hérétiques » ont été les légats du pape. Thédise et Arnaud Amaury, qui accompagnaient Simon de Montfort.

Ce n'était certes pas la première fois que des malheureux accusés d'hérésie étaient jetés aux flammes par les soins de l'Eglise, mais jamais encore un pareil supplice collectif n'avait été organisé.

Menaces contre Raymond VI

En dépit de toutes ces violences la religion cathare n'était pas vaincue, bien au contraire. Pour tenter de l'abattre il fallait attaquer directement le comte de Toulouse et ses puissants vassaux les corntes de Foix et du Comminges.

Raymond VI qui voyait bien le danger, se rendit auprès du pape pour affirmer une fois de plus son dévouement à la religion catholique.

II essaya également de s'entendre directement avec Simon de Montfort. Mais les légats veillaient et ils lui présentèrent un ultimatum qui mérite d'être retenu. Les légats exigeaient qu'il cesse de protéger les juifs et les « hérétiques »; qu'il livre ces derniers dans le délai d'un an; que le comte, ces barons et ces chevaliers ne s'habillent plus qu'avec de grossières capes brunes, qu'ils détruisent entièrement leurs châteaux et leurs forteresses, qu'ils n'habillent plus en ville, mais à la campagne qu'ils n'opposent aucune résistance aux croisés.

Enfin le comte de Toulouse devait se rendre en Terre Sainte et y rester aussi longtemps qu'il plairait aux légats.

Bien entendu Raymond VI ne pouvait accepter de pareilles conditions. Il fut donc excommunié et ses domaines livrés au premier occupant. C'était la déclaration de guerre, le début d'une lutte farouche pour Toulouse que le pape avait décidé d'écraser.

Pendant ce temps Simon de Montfort continuait ses exploits.

Il avait mis Ie siège devant Lavaur refuge de nombreux parfaits.

La ville résista deux mois et fut finalement pris d'assaut.

Cette fois ce furent 400 « hérétiques » qui furent brûlés en même temps. Ce fut le plus grand bûcher de toute la guerre (1211).

Peu après, dans un château voisin. 60 parfaits furent encore brûlés. Dans tous ces massacres les Parfaits avaient fait preuve d'un courage et d'une fermeté extraordinaires. Ils n'avaient pas cherché à opposer la violence à la violence - ce que l'on peut peut-être leur reprocher - ils n'avaient pas consenti à des abjurations qui auraient pu sauver leur vie.

On imagine facilement l'autorité morale qu'ils pouvaient avoir auprès des populations qui avaient à subir toutes les misères de la croisade, le respect dont ils étaient entourés.

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