V - L'inquisition

Gregoire IX institué l'inquisition

Et cependant les papes estimèrent que tout cela n'était pas encore suffisant. La répression d'ailleurs s'avérait difficile en raison du nombre des «hérétiques» de l'autorité morale dont jouissaient les Parfaits de la haine qu'éprouvait la population pour tous ceux qui avaient ravagé et persécuté le pays.

C'est pourquoi par une lettre circulaire du 20 avril 1233, le pape Grégoire IX institua l'inquisition. Le pape prévoyait la désignation de dignitaire de l'Eglise qui porteraient le titre officiel d'inquisiteur chargé d'interroger et de juger toute les personnes suspectes d'hérésie. Ils ne relèveraient pas de l'autorité des évêques mais de celle du pape lui-même.

Ainsi personne ne pourrait s'opposer à leur activité.

En fait les inquisiteurs seraient investis d'un pouvoir absolu.

L'inquisition fut confiée à l'ordre des Frères Prêcheurs ou Dominicains, constitué au cours des années précédentes par St-Dominique.

Ce moine espagnol, dont nous vous avons déjà parlé, était mort en 1221, mais il avait pris une part active à la croisade et avait été un auxiliaire et un conseiller de l'évêque Foulques.

L'ordre qu'il avait organisé et qui était déjà très puissant était formé de moines fanatiques auxquels Dominique avait imposé une existence sévère, austère, qui les fermait encore davantage aux sentiments humains. Leur orgueil d'être les soldats du pape, le pouvoir exorbitant qui leur était accordé, étaient les compensations des privations terrestres imposées par leur ordre.

Les inquisiteurs

Les deux premiers inquisiteurs furent Pierre Seila et Guillaume Arnaud. Le premier, qui se fixa à Toulouse, était un ancien bourgeois de la ville devenu le compagnon dévoué de Dominique, le second, originaire de Montpellier parcourait toute la province.

Tous deux étaient en droit d'exiger l'entier concours des autorités ecclésiastiques.

Raymond VII écrivit au pape pour se plaindre des abus de pouvoir commis par ces deux hommes, mais ce fut évidemment en vain. Tout au contraire les inquisiteurs furent autorisés bientôt à se faire accompagner d'une grande armée ainsi que des notaires, greffiers etc....

La première victime fut un toulousain, Vigoros de Baconia, présenté comme le chef de l'Eglise cathare de Toulouse, et qui fut brûlé.

Pendant deux ans Arnaud et Seila firent peser la terreur à Toulouse et dans le comté. A Moissac seulement ils firent brûler 210 malheureux. Ne se contentant pas de pourchasser les vivants ils intentaient des procès aux morts faisaient déterrer les cadavres qui étaient solennellement livrés aux flammes.

La dénonciation - deux dénonciations suffisaient pour être inculpé - encouragée de toutes les manières, l'impossibilité d'être confronté avec ceux qui vous ont dénoncé. L'impossibilité pratique d'être assisté d'un défenseur. L'emploi de la torture pour obtenir des aveux (elle fut légalisée plus tard par une décision du pape Innocent IV) créèrent rapidement un climat de peur et de délation insupportable qui étouffa peu à peu les résistances.

Quand un inquisiteur arrivait dans une ville, accompagné de ses gens d'armes, notaires, geôliers, etc... s'installait à l'évêché ou au convent des Dominicains s'il en existait un l'angoisse et la terreur s'emparaient de population. Chacun redoutait les dénonciation anonymes, le procès secret, la torture, la disparition dans les prisons, le châtiment suprême par le feu.

L'inquisiteur était en même temps juge d'instruction, accusateur et juge ; les moines qui l'assistaient ne pouvaient servir que que conseils et de témoin, lui seul décidait de la culpabilité et de la peine.

Pour imaginer ce que représentait l'Inquisition Il faut nous rappeler ce qu'a été de nos jours l'action de la Gestapo, et encore celle-ci n'avait-elle pas l'appui officiel de toutes les autorités existant dans le pays.

La terreur

Les peines infligées par les inquisiteurs étaient très variées, elles allaient du port des deux croix sur le vêtement, pour ceux qui s'étaient «volontairement» convertis au catholicisme - il est fâcheux pour l'Eglise que se soit St-Dominique lui-même qui ait imaginé cette humiliation dont nous avons parlé plus haut - jusqu'au supplice par le feu en passant par les sanctions pécuniaires, le pèlerinage, la prison. La peine du pèlerinage infligée pour les motifs les plus futiles était très redoutée. Le malheureux qui était envoyé à Saint Jacques de Compostelle, à Rome, à Canterbury en Angleterre ou ailleurs était porteur d'une lettre qu'il devait faire viser par les autorités religieuses de l'endroit où il se rendait.

Des milliers d'hommes et de femmes furent ainsi dispersés sur les routes de France et d'Europe soumis à toutes sortes d'avanies et ruinés par les dépenses qu'entraînaient de tels voyages.

On ne connaîtra jamais les horreurs mais aussi les actes d'héroïsme, les dévouements dont ces année terribles ont été remplies.

Sans doute beaucoup de cathares se sont enfuis et ont émigré, en Lombardie en particulier où des Eglises cathares était encore vivantes et prospères, mais la plupart sont restés dans leur pays.

En dépit des persécutions les Parfaits trouvaient des appuis dans la population, parfois auprès de certains seigneurs, on leur donnait des sommes importantes pour qu'ils puissent continuer leur prédication.

Grâce à cette sympathie active, à l'admiration que suscitait leur courage ils ont pu résister de longues années à une répression dont la cruauté ne s'est jamais démentie.

Montségur

Malgré tout, les cercles de la terreur se resserraient sans cesse autour d'eux et finalement le dernier refuge sûr fut Ie château de Montségur, nid d'aigle perché à 1200 mètres dans les Pyrénées au Sud de Lavelanet. Il appartenait à Raymond de Perella, vassal du comte de Foix, favorable aux «hérétiques», et il était depuis longtemps un centre de la religion cathare.

Raymond de Perella l'avait fait remettre en état en 1204 et ne nombreux Parfaits étaient venus s'y fixer dans les cabanes proches des murailles, les simples croyants venaient souvent en pèlerinage recevoir la bonne parole.

Cette citadelle isolée étant considérée comme imprenable, les croisés avaient abandonné l'idée de s'en emparer.

Cependant Raymond de Trancovel, fils de l'ancien vicomte de Carcassonne Raymond Roger Trancovel dépossédé de ses terres au profit de Raymond de Montfort et mort en prison en 1209, vivait en Espagne à la cour du roi d' Aragon et rêvait de prendre sa revanche. En 1240 il franchit les Pyrénées souleva les pays des Corbières, remporta quelques succès, échoua finalement devant Carcassonne et repartit pour l'Espagne.

Pendant la révolte Raymond VII ne bougea pas, attendant de voir le cours que les événements allaient prendre. Cette neutralité équivoque lui valut d'être appelé à Paris où il dut s'engager de nouveau devant Saint-Louis à pourchasser les «hérétiques» et, en particulier, à s'emparer de Montségur.

Ultime tentative de Raymond VII

Il fit cependant une ultime tentative pour tenter de retrouver son indépendance. Il organisa contre le roi de France une coalition qui aurait dû comprendre avec les rois de Navarre, de Cartelle et d'Aragon, un grand nombre de seigneurs jusqu'au Poitou.

La guerre commença en 1242 et débuta par le massacre de deux inquisiteurs, dont le terrible Guillaume Arnaud ainsi que de cinq autres moines à Avignonet. Ce coup de main fut accompli précisément par des chevaliers de Montségur.

Cela n'empêcha pas le soulèvement de Raymond VII d'échouer lamentablement, Saint-Louis étant arrivé rapidement par la Saintange avec une solide armée et les alliés de Raymond VII, particulièrement les rois de l'Espagne, voyant que les événements prenaient une mauvaise tournure se gardèrent d'intervenir.

A la fin de 1242, la révolte était terminée. Raymond VII vint demander son pardon à Blanche de Castille et promit une fois de plus d'exterminer les «hérétiques». S'il ne fut pas traité plus durement c'est sans doute parce qu'il n'était plus dangereux; d'autre part la régente devait estimer que ce serait un mauvais calcul de dévaster à nouveau une province - qui allait bientôt revenir en pleine propriété à la famille capétienne.

Toutefois il fallait châtier Montségur. C'est ce que décidèrent les prélats du Languedoc réunis en concile à Béziers en 1243.

Siège et prise de Montségur

Une forte armée dirigée par le sénéchal de Carcassonne partit donc pour Montségur et entreprit un siège qui allait durer dix mois.

Il n'y avait à Montségur, en dehors des femmes et des enfants, et des vieillards, qu'une centaines d'hommes d'armes et environ 150 à 200 Parfaits ou Parfaites qui jamais ne prendront les armes.

Les forces assiégeantes ont dû varier de 6 à 10.000 hommes suivant les moments. Parmi elles se trouvaient des mercenaires basques, habiles grimpeurs. capables d'accomplir des prodiges d'audace pour s'accrocher à des positions en apparence inaccessibles.

Au mois d'octobre 1243 les Basques parvinrent à installer tout près des fortifications une pierrière, c'est-à-dire une machine qui permettait de lancer régulièrement des boulets de pierres contre les murailles. Vers la Noël ils s'emparèrent de Ia barbacane qui préservait l'entrée de la forteresse. N'ayant aucun secours à espérer la partie était perdue pour les assiégés. Ils tinrent encore tout le mois de février, puis le 1er mars 144, Raymond de Perella, seigneur de Montségur, entama les négociations en vue d'une capitulation.

Les conditions imposées aux vaincus sont assez remarquables.

Les chevaliers parce qu'ils étaient nobles, obtiennent leur pardon, on passe même l'éponge sur le massacre d'Avignonet, tous les autres devront abjurer «l'hérésie» mais passeront cependant devant le tribunal de l'inquisition qui leur promettait des peines légères.

Les irréductibles seraient brûlés. On laissait aux assiégés un répit de 15 jours avant la reddition.

L'héroïsme des cathares ne se démentit pas. Bien au contraire ont vit des femmes, des chevaliers, des hommes d'armes solliciter le «consolamentum» pour accéder au rang des parfaits, sachant parfaitement que cela signifiait sans rémission possible la mort par le feu. Et la fin du drame ce fut un immense bûcher où 210 à 215 personnes furent brûlées ensemble en un lieu qui porte aujourd'hui le nom sinistre de champ des «crémats», c'est-à-dire, en langue d'oc, des brûlés.

Les persécutions n'étaient pas finies pour autant, mais la résistance était devenue sans espoir. Les malheureux qui avaient été des précurseurs dans la lutte contre les vices de l'Eglise catholique, contre l'impérialisme des papes, qui avaient même ouverts, à leur façon, des voies vers la liberté et la tolérance, qui avaient refusé la violence, étaient condamnés à disparaître parce qu'ils avaient contre eux toute la puissance de l'Eglise, des seigneurs et des rois.

Il n'est pas inutile par exemple de rappeler que le comte Raymond VII lui-même, que l'on a essayé de présenter parfois comme bienveillant - par intérêt - aux «hérétiques» fit encore, avant de mourir. brûler 80 «hérétiques» à Agen, cinq ans après le drame de Montségur.

Mais un combat reprendra plus tard et ailleurs sous d'autre formes, et l'Eglise catholique subira des défaites irrémédiables.

©1977-2024 Henk et Mia Leene